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MANUEL DE LA VIE SAUVAGE,Jean Philippe Baril Gérard, 2018, 311 pages,Québec
07/04/2020 16:06
Jean-Philippe BARIL GUÉRARD
MANUEL DE LA VIE SAUVAGE, 2018, 311 pages,Québec
«Manuel de la vie sauvage»: histoires sans morale,LE DEVOIR
Explorateur sans fard de la mécanique souvent grinçante des relations sociales,
sociologue masqué qui plonge au coeur d’écosystèmes très compétitifs — le monde
de la technologie, le milieu juridique —, Jean-Philippe Baril Guérard, 30 ans,
surfe encore sur le dessus de la vague.
Après Sports et divertissements (2014) et Royal (2016), roman campé dans
l’univers impitoyable des finissants en droit qui lui a permis de remporter plus
tôt cette année le Prix littéraire des collégiens, Manuel de la vie sauvage, son
troisième roman, nous fait assister à la naissance houleuse d’une start-up où
des « robots conversationnels » permettraient, en utilisant les traces
numériques laissées par une personne décédée, de continuer à communiquer avec
elle.
Kevin Bédard, le narrateur, président-directeur général de Technologies Huldu
Technologies inc., issu d’une famille de parvenus de Thetford Mines, nous
raconte en détail son expérience, de ses débuts d’étudiant en informatique
fauché jusqu’à la création d’une application révolutionnaire qui va le rendre
riche comme Crésus — ou comme Jobs. Une réussite éclatante, mais pas sans
taches.
Car on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs. Kevin nous le répète et ne
passe sous silence ni les morts ni les larmes qui ont ouvert la voie à sa
réussite. Entre mode d’emploi, leçon d’affaires et froid récit des événements,
Manuel de la vie sauvage distille son venin. « Je n’ai pas encore trouvé de
moteur d’innovation plus puissant que la haine. Ça a été le cas pour moi, et je
l’ai observé chez toutes les personnes qui ont réussi : elles entretiennent une
haine nourrie et constante envers quelqu’un ou quelque chose, et ce désir
d’écraser, ou de se venger, devient un mantra qui permet de garder les yeux sur
l’objectif, d’exciter leur esprit de compétition. »
Et son moteur à lui, c’est son prénom. Un prénom sans lequel, dit-il, il
n’aurait « pas travaillé aussi fort pour prouver qu’il est possible pour un
Kevin de finir autrement que maçon en Beauce ».
L’écrivain avait créé en 2017 à l’Espace libre une pièce de théâtre (La
singularité est proche) nourrie des thèmes similaires, carburant à la
transhumanité et à l’anticipation et explorant les possibilités de transcender
la mort au moyen de la technologie.
Dans un langage cru, résolument urbain et imprégné de l’air du temps, Manuel de
la vie sauvage vient cristalliser certaines préoccupations de l’époque. Faites
votre choix : le pouvoir de l’argent, les relations humaines jetables,
l’individualisme sans frein, la cannibalisation de la vie de chacun par les
réseaux sociaux.
Et derrière le romancier, on l’entend du début à la fin de son Manuel de la vie
sauvage, le dramaturge n’est jamais non plus très loin : les dialogues et les
phrases sonnent ici avec justesse et précision.
Aux commandes d’une machine narrative encore une fois bien rodée, mise à jour,
posant souvent, mine de rien, des questions à la fois crues et profondes,
Jean-Philippe Baril Guérard est une manière de moraliste contemporain — hybride
2.0 entre Michel Houellebecq et Jean-Simon DesRochers.
CITATIONS:
"Et c'est ce que vous désirez: plus que faire de l'argent,vous voulez surtout
sentir que vous êtes capable de laisser votre trace en innovant,..vous devez
naviguer avec soin pour vous rendre à bon port."
"Les échecs sont des succès qui se font attendre."
"Je n'ai pas encore trouvé de moteur d'innovation plus puissant que la haine,une
haine nourrie et constante envers quelqu'un ou quelque chose, et ce désir
d'écraser,ou de se venger, devient un mantra qui permet de garder les yeux sur
l'objectif,d'exciter leurs esprit de compétition."
"On a beau être une bonne personne,ce ne serait pas humain de ne rien détester."
"Je suis devenu entrepreneur parce que je voulais changer le monde.Pour
moi,l'argent est un moyen,pas une fin."
"Il faut faire à sa tête,mais on est rien sans le regard des autres."
"La crainte inspire le respect,et tout le monde ne demande qu'à se faire
respecter.Faites-vous respecter. C'est essentiel,si vous voulez réussir."
"Le premier pas vers la trahison est la confiance,"
"Les humains sont intrinsèquement inconstants."
"Si j'ai été trahi,c'est d'abord parce que je me suis exposé. Les humains ne
font que ça,briser leurs promesses."
"Toutes les relations humaines impliquent une forme de transaction. On fait des
concessions."
"La prédation. Le parasitisme.Le commensalisme.Le mutualisme. La symbiose. On
fait tous ça."
"La pire chose qu'on puisse faire à un enfant,c'est d'être trop généreux pour
lui."
"Il n'y a rien de plus puissant qu'une idée. Avec les idées,on arrive à
construire des fictions, et la fiction est le tissu de notre société."
"La capacité de façonner l'esprit humain."
"Mais c'est en se perdant qu'on trace de nouveaux chemins."
"Chaque moment est précieux. Qu'on a terriblement peu de temps. Parce que la vie
peut basculer en un instant. Tout change. Disparaît.Se transforme.
Les humains ont cette formidable capacité d'analyser,et une intuition
incroyable. Il ne faudra pas regarder en arrière; peu importe ce qu'on fait,on
emprunte toujours le meilleur chemin possible. Il y aura toujours un plan."
Gilles LAGROIS,Auclair,Québec
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