SERGIO KOKIS
UN SOURIRE BLINDÉ, roman, 1998, 256 pages, Québec
Un roman que j'ai aimé, non , j'ai adoré l'histoire de cet enfant abandonné que nous suivons jusqu'à l'âge de six ans.Sa survie, une question de lucidité précoce. C'est un enfant surdoué, sans aucun doute, d'une intelligence supérieure. Nous voguons dans un monde d'enfants meurtris mais résilients à la recherche de leur identité et du bonheur selon leurs propres normes et valeurs. CONRADO:" il était cool, des cheveux goovy, muet, pas idiot."
"Ce qui paraissait cependant, c'était la décision ferme du petit CONRADO d'être son unique maître; et de ne donner sa gratitude qu'à ceuz qui feraient leurs preuves."
Citations:
"Il était une fois un petit garçon appelé CONRADO. Un beau jour, il cessa de parler."
:Les grandes personnes mélangent tout et n'expliquent jamais rien."
"Sans défense, abandonné dans un monde rempli d'étrangers, c'est peut-être ça , la mort. Pire, il venait de comprendre: c'était la garderia."
"La garderia avait l'air des limbes, à mi-chemin entre la vie et les dessins animés, sans toutefois la diversité ni la joie des belles choses."
"La nouvelle vie était mauvaise, bien sûr, mais les choses n'avaient-elles pas toujours été ainsi?"
"Étrange confrérie que celle des enfants. Ils se reconnaissent rapidement entre eux."
"Sa hantise de la solitude est telle que même les prédateurs accueillis avec espoir."
"Les enfants en adoption savaient qu'ils coûtaient trop cher, qu'ils n'avaient pas le droit d'être là, qu'ils ne valaient pas tout l'effort que les familles nourricières s'acharnaient à déployer.Il ne fallait les suivre, Il ne fallait pas qu'ils enlèvent le pain de la bouche des vrais enfants de la famille, ça va de soi. il fallait les suivre, il fallait être heureux et sourire, les accompagner chez les voisins et rendre fières."
"CONRADO ne se laissait pas faire; il préférait jouer à l'idiot même si ça finissait en baffes, en punition et en rejet. Était-il ma tombé ou le monde entier était fou?"
CRITIQUE:
"Les Enfants confiés aux familles d'accueil
Dans le créneau des Enfants en souffrance de Bernard Laine et Alexandra Riguet, on retrouve au Québec les romans de Bruno Roy, un auteur qui a partagé les affres de son enfance dans une institution devant soi-disant le protéger. Sergio Kokis, ancien psychologue à l’hôpital Sainte-Justine pour enfants à Montréal, s’est attaqué lui aussi au sujet afin de démontrer comment le système mis sur pied pour veiller au bien-être des enfants délaissés est inopérant.
Un sourire blindé raconte l’histoire d’une famille sud-américaine qui s’est installée à Montréal. Comme pour tout immigrant, l’adaptation à la terre d’accueil représente un défi de taille. La barrière linguistique, la méconnaissance des us et coutumes et la difficulté de se dénicher un emploi enveniment la situation. Ceux qui en souffrent davantage, ce sont les enfants, en l’occurrence le petit Conrado qui, rapidement, voit son père quitter le toit familial. Soumis à la précarité d’une mère inapte à survenir à ses besoins pécuniaires et affectifs, il est confié à la DPJ (département de la protection de la jeunesse). S'enclenche alors la tournée des familles d’accueil où les enfants ne sont pas à l'abri de mauvais traitements. C’est une expérience traumatisante quand, par surcroît, on les agresse sexuellement. Pour se venger d’un comportement inacceptable à cet égard, Conrado commet le geste qui lui assure une cellule en prison psychiatrique. La condamnation dépasse l’entendement de l’enfant. Ce dernier réagit par un mutisme psychologique qui laisse croire qu’il est vraiment privé de la parole. L’intégration sociale n’est pas pour demain sous la voûte de cet enfer.
Sergio Kokis décrit justement cet univers infernal de façon percutante. Son roman oscille entre l’art romanesque et le documentaire. Mais il reste qu’il attire adroitement l’attention sur un sujet trop souvent banalisé par la population. Les gouvernants s’occupent-ils vraiment des jeunes dépendants de leurs décisions pour s’épanouir ?
http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/44198
CRITIQUE:
UN SOURIRE BLINDÉ : DÉTOURNEMENT MINEUR
Chaque automne semble désormais amener son nouveau SERGIO KOKIS. Un sourire blindé, le dernier-né du prolifique auteur, plonge dans la dure réalité de l’enfance mise à mal. Un docudrame percutant, mais moins maîtrisé que ses précédents romans.
Julie Sergent, 2 septembre 1998
Cuvée 1998 d’une production annuelle qui ne tarit pas depuis la parution du Pavillon des miroirs, en 94, le plus récent cru de Sergio Kokis est arrivé: Un sourire blindé, qui trempe un peu dans le même sang de voyou que les quatre précédents romans. Tromperies, viols, coups et menaces, drogues et alcool: tout cela reparaît ici qui constituait la vie du narrateur du Pavillon des miroirs, celles de Negao et Doralice, comme celle de l’écrivain d’Errances ou du peintre de L’Art du maquillage, et qui semait dans leur âme la terreur et le désespoir.
Mais, à la différence de ces titres-là, dans lesquels des personnages vivaient et parlaient de pays éloignés, en particulier du Brésil natal de l’auteur, le nouveau roman est ancré au Québec, et parle de sujets qui paraîtront, bien sûr, terriblement réels au lecteur d’ici: la difficile adaptation des nouveaux immigrants, les mauvais traitements dont sont couramment victimes les enfants, et la prise en charge par l’État de jeunes mineurs.
Kokis a vraisemblablement puisé dans son expérience de psychologue à l’hôpital Sainte-Justine, où il a travaillé pendant une vingtaine d’années, pour écrire ce texte au contenu fort percutant, mais qu’on pourra trouver moins fignolé que les autres. Comme s’il s’était éloigné de son chevalet de peintre – d’où il nous donne depuis le début de son ouvre des visions particulièrement élaborées -, comme s’il s’était même distancié de son habituel pupitre de romancier qui jongle avec le temps et la structure narrative et peaufine la métaphore, il semble ici avoir voulu enchaîner les événements au plus pressé, nous mener le plus simplement possible jusqu’au bout d’une certaine horreur. Il faut dire que l’histoire capte facilement l’attention; elle relate environ un an et demi dans la vie du petit Conrado, âgé de quatre ans, expérience dont on craint qu’elle soit relativement courante parmi les biographies qui s’empilent au bureau du directeur de la Jeunesse.
Arrivé à Montréal en provenance de Santo Domingo avec père et mère, pour être abandonné tantôt au bombardement de la télévision, tantôt à des scènes réelles d’une violence extrême, Conrado sera bientôt entraîné «dans la course cahotante d’enfants en orbite». Des acteurs se succèdent que l’on ne se surprend pas de retrouver: une mère parfaitement démunie parce qu’elle ne connaît ni la langue ni les us du pays, un père de plus en plus absent, puis toute une trâlée de travailleuses sociales (alias «les Francine»), qui s’ingénieront à placer l’enfant au hasard des cases vides de l’échiquier social, dans des familles d’accueil beaucoup plus empressées à encaisser leur allocation et à peloter le petit nouveau qu’à lui prodiguer les soins parentaux les plus élémentaires. Prenant les grands moyens pour éliminer un de ces parents débiles, Conrado atterrira un jour à l’hôpital psychiatrique, puis, à cinq ans, en prison, où il semblera plus que jamais résolu à ne plus parler, ne plus rien ressentir, ne plus rien vivre en dehors de ses images mentales, des scènes d’émissions pour enfants qui vireront de plus en plus en cauchemars.
Si Kokis parvient une fois encore à décrire patiemment la configuration intérieure d’un personnage, on a assez régulièrement l’impression, dans Un sourire blindé, que le point de vue du narrateur n’est pas bien arrêté, qu’il oscille entre le discours naïf de l’enfant (celui qui dit zizi, pipi, et qui parle d’incompréhension) et le discours explicatif du thérapeute (celui qui dit: «On ne peut jamais prévoir comment réagira un être humain, car le métabolisme qu’il effectue de toutes ses rencontres est trop mystérieux et complexe.» Hum.).
Le traitement romanesque s’est perdu quelque part, sans doute dans la réalité, plaçant ce dernier Kokis un peu plus près du documentaire.
Un sourire blindé
XYZ éditeur, 1998, 257 p.