DEUILS CANNIBALES ET MÉLANCOLIQUES, 2000, Éditions Trois
Catherine Mavrikakis est devenue un écrivain incontournable dans le paysage québécois depuis son roman Bay City, récom-pensé par le Grand Prix de la Ville de Montréal en 2008. Ce qu’on sait peut-être moins d’elle c’est qu’avant d’être ainsi recon-nue, elle comptait déjà à son actif quelques essais et cinq autres romans, dont Deuils cannibales et mélancoliques, publié en 2000 aux Éditions Trois. Ce premier roman n’avait pas rejoint un large public mais avait toutefois connu une sortie percutante grâce au critique littéraire Robert Lévesque - autrefois du journal Le Devoir- qui avait alors dit de l’auteur de ce roman qu’elle était le premier écrivain à l’avoir autant séduit depuis Hubert Aquin. Un hommage exceptionnel venant de ce critique reconnu pour son niveau d’exigence très élévé. D’autre part, Pierre Thibault, l’ancien directeur du journal Ici avait également salué ce livre comme « chef-d’oeuvre ».
Le livre était resté introuvable depuis sa parution en 2000, mais après le succès de Bay City, l’éditeur actuel de Catherine Mavri-kakis, Héliotropis, a jugé bon de rééditer Deuils cannibales et mélancoliques, au grand plaisir de ceux qui avaient déjà décou-vert son talent exceptionnel. Ce livre peut fasciner ou, au contraire, entraîner un refus viscéral parce qu’il tire le lecteur vers des lieux intérieurs arides où il ne veut pas séjourner, ne serait-ce que le temps d’une lecture. On entre dans Deuils cannibales et mélancoliques comme dans un cinéma sombre, pour y voir un film sombre, réalisé par un cinéaste lui aussi sombre, mais plein de courage devant des réalités froides et dures et doté de plus d’un rare talent d’écriture. Et il en faut du courage pour aborder les thèmes favoris de Catherine Mavrikakis, la difficulté de communiquer ce qu’on est et la solitude qui en découle, et, dans le cas particulier de ce livre, la mort. La mort, uniquement la mort, celle de proches, d’amis sidéens qui, les uns après les autres, quit-tent prématurément la vie et dont le départ impose une brutale rupture des amitiés. Les deuils dont parlent le titre sont ceux qui rongent de l’intérieur les survivants et les marquent d’une tristesse profonde qui ne les quittera plus. Étonnamment, tous ces amis morts portent un prénom identique, « Hervé », par allusion, et peut-être en hommage, à Hervé Guibert, l’écrivain français lui aussi mort du sida il y a quelques années.
Deuils cannibales et mélancoliques est un court roman, composé de très courts chapitres écrits dans un style essentiel, minima-liste, ce qui aide à atténuer la dureté du sujet traité. Qu’on aime ou pas, il faut reconnaître que Catherine Mavrikakis est dotée d’une voix exceptionnellement forte et courageuse, ce qui devrait faire d’elle un des écrivains les plus remarquables de la littéra-ture francophone contemporaine. Une forte personnalité littéraire, à recommander aux lecteurs qui recherchent la présence d’un livre et d’un auteur de grand caractère.
Agathe Crevier, Lavaltrie, Québec.