SAUCIER Jocelyne
IL PLEUVAIT DES OISEAUX, XYZ, 2011, 179 PAGES
ARTICLE - 10 février 2011
« 29 juillet 1916. Dans les forêts du Nord ontarien, les flammes prennent de l'ampleur. Le brasier sera bientôt connu sous le nom de Grand Feu de Matheson, l'un des feux qui ont ravagé la province au début du 20e siècle.
Ce jour-là, le jeune Boychuck échappera de peu à la mort, et sera marqué à jamais par le spectacle de son coin de pays carbonisé. Bien des décennies plus tard, alors qu'il vit reclus au fond des bois en compagnie de deux autres vieillards, la brûlure est toujours vive au fond de lui.
D'autres écorchés traverseront cette histoire de survivance et de dignité, qui révèle l'immense talent de conteuse de Jocelyne Saucier. En nous donnant accès à une très étonnante petite communauté, la romancière montre que l'amour, tout comme l'espérance et le désir de liberté, n'a pas d'âge. Une pure merveille » source : www.voir.ca
Mourir dans la dignité
"L’incendie de forêt a brûlé les pas des amants à tout jamais désunis. Pour fuir le brasier, qui a ruiné deux cent quarante trois vies à Matheson dans le Nord ontarien, les jumelles Polson se sont hissées sur un radeau alors que pleuvaient des oiseaux asphyxiés en plein vol. Les deux sœurs ont échappé à la mort, mais qu’est-il devenu de leur ami Boychuck, lui qui les avait de si près tenues, aurait écrit Rutebeuf ? La vie serait-elle une entreprise vouée à la disparition des êtres aimés ? Languir de les retrouver semblent la tâche des survivants, voire de leur inventer un destin en prêtant des oreilles aux murs comme le fait Madame Sullivan. Carburer aux souvenirs de gens peut-être encore vivants, c’est le calvaire des parents d’enfants disparus comme celui de Boychuck, un peintre qui a immortalisé les jumelles pour échapper à une tristesse parente de la folie. Les grands espaces s’offrent à l’artiste devenu vieux pour le consoler de ses amours mortes.
Avec Tom et Charlie, il se terre près d’un lac dissimulé par la forêt. C’est leur ermitage secret, où ils espèrent connaître une douce fin à l’instar des oiseaux, qui se cachent pour mourir. Ils ne cherchent pas à être heureux, mais à protéger leur liberté contre les bonnes intentions de leur travailleuse sociale. Cette retraite n’empêche pas la venue de deux femmes en VTT. Leur présence illumine leur vie en les ouvrant à autrui en dépit de leur vieillesse. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ! Et quand vient le dernier moment, on ne se dépare pas de sa dignité comme dans L’Attraction terrestre d’Hélène Vachon, quitte à recourir à la strychnine pour alléger son départ. « Le sourire chez un mort, c’est une dernière politesse. »
Le roman repose sur la technique que l’auteure avait utilisée pour "Jeanne sur les routes", un journaliste de Rouyn obsédé, dans les années 1930, par une communiste de passage. Dans sa dernière œuvre, c’est la photographe qui est hantée par les vieux. En joignant la petite communauté, son attention se porte sur les toiles de Boychuck mort quelques jours avant son arrivée. Tom et Charlie sont intrigués par son acharnement à vouloir reconstituer la vie et l’œuvre de leur comparse.
Jocelyne Saucier garde le cap sur la quête de ce personnage. Elle ne déroge pas à son investigation en maintenant à son roman une force centripète, qui vrille constamment le cœur de la thématique. Bref, c’est un parangon qu’enrichit une écriture dépouillée, qui émet une petite musique harmonisée à une nature lénifiant les « blessures ouvertes »
source :www.voir.ca
Une découverte, un grand roman.Une grande qualité d’écriture, un style narratif poignant, confidentiel, intime tant les personnages deviennent réels, prennent vie, expriment leur réalité. Ils ont vécu, dorénavant ils veulent être les seuls maîtres de leur destinée. Une complicité, une amitié entre des survivants qui ont décidé du libre choix de leur vie et de leur mort en toute plénitude. À partir de faits vécus nous partageons la vie intime d’êtres qui ont été marqués par un événement marquant, décisif pour toute une population lors d’incendies de forêt dévastateurs en Ontario et en Abitibi au début du XXème siècle. Une auteure de talent nous raconte ce qui appartenait déjà à notre imaginaire collectif en tant que nordique et Abitibien : les feux de forêts.
Gilles Lagrois, Auclair, Québec
Du même auteure:
LA VIE COMME UNE IMAGE, MONTRÉAL, ÉD. XYZ, 1996, COLL. ¨ « ROMANICHELS »
LES HÉRITIERS DE LA MINE, MONTRÉAL, ÉD. XYZ, 2000, COLL. ¨ « ROMANICHELS »
JEANNE SUR LA ROUTE, MONTRÉAL, ÉD. XYZ, 2006, COLL. ¨ « ROMANICHELS »