MYER Deon
À LA TRACE, SEUIL, 2012, 721 pages
À la lecture de cet intense roman d’action j’avais l’impression de voir un film, un drame, des complications l’une après l’autre : séparation, contrat, fusillade, extermination, gang, chef de gang au pouvoir illimité, argent, prostitution, alcool, pauvreté. Tout y est pour nous décrire l’Afrique du Sud qui est un pays riche par ses diamants mais peuplé aussi de démunis qui viennent de partout se réfugier dans l’espoir de survivre. Pour survivre il faut agir et vite…Comme l’animal traqué l’humain laisse des traces, il suffit de les interpréter pour le retracer.
« Une baissse subite d’adrénaline permet à Milla de voir sa propre vie, claire comme de l’eau de roche : elle s’est raconté des histoires, a joué, comme dans une pièce de théâtre, à ce-que-la-vie-est-censée-être, est restée aveugle devant la réalité. Sa désillusion est massive ; elle la submerge brutalement, la remplissant d’un sens aigu de l’inutilité de toutes ces années gaspillées…Étrangement, Barend son fils lui manque avec une intensité douleureuse. Elle voudrait lui dire : »Je le regrette tellement », lui demander pardon, sans même savoir de quoi. » p. 487
Gilles Lagrois, Auclair, Québec
Pour en savoir davantage :
« Chacun des protagonistes de ce roman aux intrigues apparemment distinctes laisse des traces. Toutes, à un moment donné, vont se croiser.
Milla, mère de famille qui plaque son foyer et rejoint l’Agence de Renseignement Présidentielle au moment où un groupuscule islamiste s’agite de manière préoccupante.
L’aventurier Lemmer qui protège le transfert à la frontière du Zimbabwe de deux inestimables rhinos noirs. Lukas Becker, l’archéologue aux prises avec les gangs de la plaine du Cap. L’ex-flic Mat Joubert, devenu détective privé, chargé d’enquêter sur la disparition d’un cadre de l’Atlantic Bus Company.
Comparée à l’univers du polar américain (corruption, drogue, prostitution), la matière romanesque de À la trace, qui allie « le monde animal, inhérent à notre culture », des contrebandes pittoresques, l’émancipation des femmes, la culture gangsta des villes, frappe par sa richesse et sa diversité.
Deon Meyer est un des rares auteurs qui, tout en maîtrisant avec brio les règles du genre, ouvre grand le champ des problèmes contemporains de son pays. »www.seuil.com
Roman policier

L'art du pisteur consiste à identifier les signes, puis à les interpréter. Dans son nouveau roman, Deon Meyer (né en 1958) s'appuie sur ces techniques de traque animale pour déployer une histoire où chaque personnage laissera des traces qui finiront par se recouper. Le romancier sud-africain de langue afrikaans, auteur notamment des mémorables Soldats de l'aube (2000), rappelle du même coup les fondamentaux du thriller : la chasse et la fuite, le chasseur et le gibier, le fort et le faible. Mais, en scrutant les failles et les conflits internes d'une poignée d'hommes inquiets et de femmes déroutées, il évite également toute forme de manichéisme.
Divisé en quatre « livres », A la trace se déroule en septembre 2009, en Afrique du Sud, entre la ville du Cap et le parc national du Karoo. Tout commence avec Milla. Elle vient de quitter son mari et son fils, après vingt ans de mariage qui ressemblaient à une prison avec sévices. Sans ressources mais déterminée, la voilà embauchée par les services secrets sans bien comprendre à quoi elle sert, alors que la Presidential Intelligence Agency surveille des islamistes qui ont tout l'air d'attendre une livraison essentielle. Milla a toujours été une épouse docile, et soudain la vie s'ouvre devant elle. Deon Meyer en fait une héroïne torturée, naïve, mais définitivement libre. Dans une seconde partie du roman, il lui opposera d'autres types de femme comme Flea, fausse dompteuse de rhinocéros, belle aventurière violente et voleuse, prête à assurer le transport d'animaux en voie de disparition à la frontière du Zimbabwe.
Quand il veut faire monter la testostérone, le romancier fait entrer en scène Lemmer (personnage central de Lemmer l'invisible, en 2008). Garde du corps, ex-taulard, Lemmer est un vrai héros, teigneux et sentimental, un franc-tireur pourvu d'une morale fluctuante. Autre figure récurrente de Meyer, Mat Joubert est le personnage central de la quatrième partie : un ancien flic devenu détective, capable d'une empathie démesurée pour ses clients. De ces aventures apparemment indépendantes, dont l'épine dorsale est un trafic de diamants pour le compte d'al-Qaida, Deon Meyer sait tirer les fils et les lier ensemble sans le moindre accroc.
Au-delà de la construction implacable, des personnages incarnés, il y a le pays : une Afrique du Sud post-apartheid qui ne se résume pas à la ville du Cap. On quitte les chics banlieues résidentielles pour se perdre dans des parcs nationaux et rouler au coeur de la brousse. On entend les bruits de la nuit, le hurlement du chacal, le chuintement des crocodiles, pour finir la soirée à manger un bobotie au riz jaune et patates douces.
Deon Meyer raconte des histoires sombres et panoramiques. Chaque personnage distingue quelque chose mais il lui manque un morceau du puzzle pour appréhender l'ensemble. Le lecteur est seul pour réunir les pièces : un pays qui se cherche, une nature sauvage face à l'économie mondiale, une politique contemporaine qui peine à composer avec l'histoire tribale, des langues multiples et des rêves euphoriques plombés par la réalité...
A la trace est le septième livre traduit de Deon Meyer. Comme ses héros, Lemmer ou Mat Joubert, il ne dévie jamais de sa route, creusant ses obsessions tournées vers l'écologie, le refus du pittoresque, la lutte des femmes et ce foutu racisme qui peut changer de camp. Deon Meyer ne se veut pas porteur d'un message, se contente d'éclairer les traces, à l'aise dans son rôle d'écrivain qui agrippe le lecteur en lui offrant tout à la fois du suspense, du sentiment, de l'espionnage, de l'enquête policière. Sacré pisteur que ce Meyer, qui traque sa proie sans jamais la lâcher, jusqu'à la dernière page. »
www.telerama.fr
Le 04/02/2012 - Mise à jour le 29/03/2012 à 16h52
Christine Ferniot