FABRE Dominique
IL FAUDRAIT S’ARRACHER LE CŒUR, Éd. De l’Olivier, 2012, 221 pages
Description de la vie quotidienne de personnages ordinaires avec un rythme de vie
banale sans trop d’avenir et de projet. Ces personnages sont parfois présents et attachants même si leur vie est très quelconque. Chaque personnage est laissé à lui-même et les liens entre eux sont rares et discrets. Il faut reconnaître que la vie n’est pas démonstrative et explosive pour tous. Certains ont une vie sans éclats et état d’âme profond ce qui ne veut pas dire insignifiant et sans importance. Le style de l’auteur est parfois difficle à déchiffrer par la tournure et l’agencement des mots comme est la vie des personnages.
Gilles Lagrois, Auclair, Québec
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résumé du livre
« La vie retrouvée 'Pourquoi je me souviens si bien de ce soir-là ?' Pour le narrateur de ce roman, le passé n'a pas disparu, au contraire. A travers trois histoires où il raconte comment ceux qu'il aimait l'ont quitté ou plutôt délaissé, il fait revivre ses années de jeunesse lorsqu'il attendait que la vie, la vraie, veuille bien cogner à sa porte. La première histoire est une histoire d'amitié, celle de sa relation avec deux amis qui se suicident ou cherchent à le faire. La deuxième raconte le départ du jour au lendemain du père, et les rencontres en pointillés qui suivront cette désertion.
La dernière raconte le dernier déménagement de Anna, la grand-mère,et la fin d'un monde. Avec un sens du détail déchirant, Dominique Fabre écrit un grand livre sur l'impossibilité d'oublier : les grands moments mais, aussi, les petites choses qui à votre insu vous marquent et vous modèlent à jamais. Tout en modestie et retenue, Dominique Fabre livre ici un roman aux accents modianesques. » www.evene.fr
Dominique Fabre rend grâce à des êtres qu'il aima ou simplement frôla dans sa jeunesse.
Une histoire qui «  tient en dix lignes ou alors en une vie  », et se déroule en trois vignettes d’une pantelante chronologie affective. «  Il faudrait s’arracher le cœur », la première, est encadrée par deux morts. Celle, chaque fois empêchée, du garçon qui, entre  1979 et  1983, fut pour le narrateur «  une sorte de frère  ». Une sorte seulement, puisqu’il en était amoureux, jusqu’à ce que l’aimé se perde là où s’abîment souvent les amis de jeunesse. De lui, nous ne connaîtrons pas le prénom : «  i l » suffit. L’autre mort, bien réelle, touche Jérôme Canetti, terrassé par la drogue. Années sida, petits boulots… L’injonction du titre scande ce premier récit, tant, à se remémorer l’ombre des êtres, il paraît soudain de première nécessité de se sortir de la poitrine ce maudit engin qui bat somptueusement la chamade.
«â€¯ Je vais devoir vous laisser  », ensuite, est la chronique, à Asnières, des années sans père, le «â€¯ porté disparu  », évaporé un jour de 1976 avec cette «â€¯ phrase toute faite dont il habite sa fuite  », que le fils n’aura de cesse, plusieurs années après, de lui renvoyer en un écho vengeur. Pour échapper au «  sourire placebo  » de leur mère, le jeune homme complote avec sa sœur Magali en expressions codées, pratique la pensée magique pour faire revenir ce père «  à temps presque partiel  ». Heureusement Jeanne Mas, Patrick Dewaere et Albertine Sarrazin sont là. Un certain Jérôme Canetti aussi, en arrière-plan. Par association d’idées, les émois d’adolescent, l’attente exaltée du futur, sont concassés dans les regrets de l’homme mûr qui se souvient, saupoudrant son «  je  » dans ce troublant décrochage énonciatif. Ce qui pouvait se lire comme des nouvelles se révèle un déchirant trompe-l’œil, télescopage de fragments impressionnistes qui tracent des traits d’union entre les époques.
Cette tendre géographie de la mémoire se noue dans «â€¯ Qu’est-ce que je voulais dire pas la messe bien sûr ?  ». L’armoire de la chambre de la grand-mère a plus de souvenirs que si elle avait mille ans  : c’est qu’Anna y a vécu toute une vie, à Belleville, au gré des visites de sa fille, de son petit-fils et de sa sœur Magali – prénom qui boucle la boucle. Ce dernier confiteor s’enroule dans l’entonnoir des cinquante années contenues dans cet appartement, dont Anna sera délogée. Une époque à la fois dilatée dans cette longue tranche de vie, et cristallisée dans l’expulsion qui faillit bien la «â€¯ faire mourir d’un chagrin sans nom  ». Anna ayant longtemps cherché ses mots avant de les perdre, son petit-fils met les siens à son service.
Étonnant retour des choses, le hasard d’une recherche de logement l’amènera à visiter ces pièces dont sa grand-mère s’est absentée vingt ans avant pour une tour de Noisy-le-Sec…
En un lent ressac, ce plan de coupe textuel sédimente ce qui fait une existence, les silhouettes et « endroits détruits et dépassés d’une vie qui n’aura plus jamais lieu  ». L’anamnèse de cet ancien jeune homme qui aurait voulu être une fille dévide un flux de conscience, une décalcomanie de réminiscences fugaces. De photographies en expression fétiche de tel ou tel, les rémanences sont filtrées au tamis du présent – qui n’est que la nouvelle définition du passé.
Ces êtres qu’on frôle, qu’on rate, qu’on ne connaît pas assez ou pas assez longtemps, les phrases qui les résument, les cafés rituels où l’on a retrouvé les vieux copains tant de fois qu’on les hante encore quand tous ont déserté, s’exhalent par petites touches en un haletant élixir du souvenir… Oserait-on le dire ? Il n’y a peut-être que Dominique Fabre pour formuler ce vertige de la souvenance. Pour chanter, à l’instar de ce Callaghan qu’il aimerait tant revoir, ces amis que vent emporte, les valises de vieux effets, les piliers de comptoir avec qui l’on refait le monde. Pour égrener cette topographie onirique des villes et des vies qui changent trop vite.
De livre en livre, de même que dans ses «  Choses vues  », dans Le Matricule des anges, il esquisse une cartographie de nos vies périphériques. De transferts sémantiques en adjonctions thématiques inattendues, il entonne sa métonymie des êtres aimés en une sublime antiphrase du chagrin. Sa syntaxe béante qui détrousse la mémoire, son argot métaphorique à nul autre pareil, créent un décalage ironique qui distille une nostalgie à vous arracher le palpitant. À l’en croire, «  il ne faudrait pas trop s’attacher aux gens que l’on ne fera que croiser dans la vie  ». Trop tard.
Juliette Einhorn
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