BOUCHARD Serge
C’ÉTAIT AU TEMPS DES MAMMOUTHS LAINEUX, Boeéal, 2012, 221 pages
Un livre très intéressant à lire par les sujets énoncés, le discours direct de l’auteur, ses connaissances des humains de tous les continents, ses audaces d’écriture et de propos toujours à point et utilisés avec humour.
Un livre à relire, à faire circuler. L’auteur est anthropologue, philosophe, humaniste, environnementaliste, enseignant, un homme aux multiples talents qui ont toujours pour but de mieux se rapprocher et de connaître l’homme comme être planétaire. Un grand livre qui devient vite un inséparable.
Gilles Lagrois, Auclair, Québec
Pour en savoir davantage :
« Je suis un grand-père du temps des mammouths laineux, je suis d’une race lourde et lente, éteinte depuis longtemps. Et c’est miracle que je puisse encore parler la même langue que vous, apercevoir vos beaux yeux écarquillés et vos minois surpris, votre étonnement devant pareilles révélations. Cela a existé, un temps passé où rien ne se passait. Nous avons cheminé quand même à travers nos propres miroirs.
Dans notre monde où l’imagerie était faible, l’imaginaire était puissant. Je me revois jeune, je revois le grand ciel bleu au-delà des réservoirs d’essence de la Shell, je me souviens de mon amour des orages et du vent, de mon amour des chiens, de la vie et de l’hiver. Et nous pensions alors que nos mains étaient faites pour prendre, que nos jambes étaient faites pour courir, que nos bouches étaient faites pour parler. Nous ne pouvions pas savoir que nous faisions fausse route et que l’avenir allait tout redresser.
Sur les genoux de mon père, quand il prenait deux secondes pour se rassurer et s’assurer de notre existence, je regardais les volutes de fumée de sa cigarette lui sortir de la bouche, par nuages compacts et ourlés. Cela sentait bon. Il nous contait un ou deux mensonges merveilleux, des mensonges dont je me rappelle encore les tenants et ficelles. Puis il reprenait la route, avec sa gueule d’acteur américain, en nous disant que nous étions forts, que nous étions neufs, et qu’il ne fallait croire qu’en nous-mêmes. »
www.archambault.ca
« Je suis un grand-père du temps des mammouths laineux, je suis d’une race lourde et lente, éteinte depuis longtemps. Et c’est miracle que je puisse encore parler la même langue que vous, apercevoir vos beaux yeux écarquillés et vos minois surpris, votre étonnement devant pareilles révélations. Cela a existé, un temps passé où rien ne se passait. Nous avons cheminé quand même à travers nos propres miroirs. Dans notre monde où l’imagerie était faible, l’imaginaire était puissant. Je me revois jeune, je revois le grand ciel bleu au-delà des réservoirs d’essence de la Shell, je me souviens de mon amour des orages et du vent, de mon amour des chiens, de la vie et de l’hiver. Et nous pensions alors que nos mains étaient faites pour prendre, que nos jambes étaient faites pour courir, que nos bouches étaient faites pour parler. Nous ne pouvions pas savoir que nous faisions fausse route et que l’avenir allait tout redresser.
Sur les genoux de mon père, quand il prenait deux secondes pour se rassurer et s’assurer de notre existence, je regardais les volutes de fumée de sa cigarette lui sortir de la bouche, par nuages compacts et ourlés. Cela sentait bon. Il nous contait un ou deux mensonges merveilleux, des mensonges dont je me rappelle encore les tenants et ficelles. Puis il reprenait la route, avec sa gueule d’acteur américain, en nous disant que nous étions forts, que nous étions neufs, et qu’il ne fallait croire qu’en nous-même.
« Avec sa manière inimitable, sur le ton de la confidence, Serge Bouchard jette un regard sensible et nostalgique sur le chemin parcouru. Son enfance, son métier d’anthropologue, sa fascination pour les cultures autochtones, pour celle des truckers, son amour de l’écriture. »
www.editionsboreal.qc.ca
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> Serge Bouchard célèbre le temps qui passe
Du même auteur

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Le dernier livre de l'anthropologue Serge Bouchard, C'était au temps des mammouths laineux, est constitué de vingt-cinq chroniques d'humeur déjà parues à droite, à gauche entre 2004 et 2011.
Le Soleil, Jean-Marie Villeneuve
(Québec) Il y a des livres qui sont comme des amis.

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« Le dernier livre de l'anthropologue Serge Bouchard, C'était au temps des mammouths laineux, est de ceux-là. Il est constitué de vingt-cinq chroniques d'humeur déjà parues à droite, à gauche entre 2004 et 2011.
Publié par Boréal, ce livre de 323 pages est un florilège. Pour dire le temps qui passe et célébrer le temps qui a passé.
Dès le premier texte, l'auteur donne le ton: «Je suis d'une race lourde et lente, éteinte depuis longtemps.»
Q Serge Bouchard, vous écrivez que dans le monde d'autrefois l'imagerie était faible et l'imaginaire, puissant. Le contraire est-il vrai: dans un monde où l'imagerie est puissante, l'imaginaire est-il faible?
R Les nouvelles technologies font en sorte que nous avons placé l'image devant nous. Nous étions des créateurs de mondes imaginaires et nous ne le sommes plus, nous sommes devenus des consommateurs. On peut tout faire avec un ordinateur, même jouer au hockey... Notre capacité d'imagination pourrait être atrophiée d'ici cinquante ans. En tout cas, je pose la question.
Q Il a beaucoup de nostalgie dans votre livre. La nostalgie est-elle l'apanage de ceux qui vieillissent?
R La nostalgie est inévitable. Et si elle est inévitable, c'est parce qu'elle est humaine. Nous, les humains, nous sommes condamnés à la nostalgie. La nostalgie, c'est simplement regarder le chemin parcouru depuis l'enfance. La nostalgie, c'est un sentiment humain positif.
Q Élevé par une mère agnostique, vous dites ne pas avoir la foi. Que pensez-vous de cette réflexion de Jean d'Ormesson: je n'ai pas la foi, mais j'ai l'espérance?
R C'est oui. Oui, j'ai l'espérance et c'est génial de le dire comme ça. Je ne suis pas un homme désespéré. Je n'ai pas beaucoup réfléchi à la chose religieuse, mais je suis un humaniste prédisposé au bonheur et à l'espérance. Si j'avais à me décrire, je dirais que je suis dans une dimension spirituelle et sacrée comme les Amérindiens.
Q Vous moquant de la manière dont vous étiez habillé à la fin des années 60, vous notez que le ridicule ne tue point mais fait la mode.
R La mode est forcément ridicule. Et ça, le jeune qui est dans l'instant ne le reconnaîtra pas. Le temps, tu n'y échappes pas. Or notre société prétend que le temps ne passe pas. Oui, le ridicule fait la mode.
Q Pourquoi n'aimez-vous pas le drapeau canadien?
R Je ne l'ai jamais aimé, il nous est sorti dans la face sans qu'on sache trop pourquoi. Il est sans âme, sans sens, sans racines. Comme le Canada, finalement. Il est le drapeau d'un pays qui n'existe pas. J'aurais préféré un drapeau blanc tout simple avec une épinette noire au milieu. L'épinette noire de Chibougamau, de l'Abitibi, de la Baie James. Des épinettes noires, il y en a à la grandeur du Canada. Ça, ça nous aurait bien représentés.
Q En vous fondant sur les travaux de Benjamin Lee Whorf et Edward Sapir, vous expliquez qu'on habite une langue. La langue serait-elle un pays?
R La langue que l'on parle fait le pays et structure le réel. La langue est porteuse d'une vision du monde. D'ailleurs, on parle de familles linguistiques. Nous, les Québécois, on serait plus proches des Mexicains que des Albertains. Même si elles le font en français, les nouvelles technologies véhiculent la vision anglophone du monde et c'est pernicieux parce qu'on ne s'en aperçoit pas.
Q Vous affirmez que le Québec se comporte avec les Amérindiens comme le Canada avec les Québécois. Expliquez.
R C'est le même débat, c'est le même cul-de-sac. Aucune société moderne n'a réussi à résoudre l'équation: comment concilier la diversité culturelle. Pour les Canadiens anglais, les francophones sont un épiphénomène, une verrue dans la face. Au Québec, face aux Amérindiens, c'est la même chose. Les Amérindiens parlent une autre langue et veulent des pouvoirs.
Q Que faites-vous de la Paix des Braves avec les Cris dont on vient de fêter le 10e anniversaire?
R C'est vrai, le Québec a évolué là-dessus depuis 1975. Notamment avec René Lévesque. Il y a eu la Paix des Braves et le Québec accepte de parler aux Amérindiens. Le Québec et la Colombie-Britannique sont les deux provinces les plus avancées dans leurs négociations avec eux.
Q J'ai bien aimé cette réflexion: il ne se fait pas assez d'études sur les liens entre le bonheur et les moteurs.
R C'est un aveu, finalement. On est préhistorique quand on dit que le bonheur, ce sont les moteurs. Moi, j'aime les trucks, j'aime les claquements du diesel et l'odeur du fuel. Là se pose la question de l'esthétisme des temps anciens.
Q Vous déplorez que les gens ne savent plus faire la différence entre un bon et un mauvais hamburger. C'est quoi un bon hamburger?
R Un A&W, c'est un bon hamburger. Un McDonald, c'est un mauvais hamburger.
Q Pourquoi écrivez-vous que la vie est affront dont personne n'a jamais su se protéger?
R Ça dit ce que ça dit. La proposition philosophique des pays riches, aujourd'hui, c'est dire que tout est facile. C'est faux! Les Américains ont une formule extraordinaire: shit happens. Quand tu vieillis, le temps te rattrape.
Q La vie serait-elle un passe-temps?
R Ben oui. Entre la naissance et la mort, il faut bien s'occuper. »
www.lapresse.ca