PLAMONDON Éric
MAYONNAISE, Le Quartanier, Montréal, 2012, 200 pages
Roman envoûtant avec ses cent-treize fragments qui se succèdent au rythme des
personnages, des récits et des pensées profondes de trois hommes acolytes : l’auteur, le principal personnage Gabriel Rivages dont le destin se mêle ici à celui de Richard Brautigan, l’écrivain qui a changé sa vie.
Un auteur à découvrir, un roman passionnant par ses retours sur le passé et sur les inventeurs américains qui ont transformé la vie des consommateurs de la planète.
Le jeu de rôle de chacun est entraînant, intimiste, attachant.
J’ai le goût de faire une recherche sur l’existence et l’œuvre de Richard Brautigan, écrivain et poète américain très particulier et sympathique.
Gilles Lagrois, Auclair, Québec
Pour en savoir davantage :
« Éric Plamondon connaît le secret de la mayonnaise.
Je me suis réveillé en nage, comme un enfant émerge d’un cauchemar de loup-garou. Dans le rêve dont je venais d’être expulsé, Éric Plamondon et Richard Brautigan participaient à l’émission du Cuisinier rebelle. Un épisode sur la préparation d’une mayonnaise parfaite. Pendant que Plamondon et l’animateur tatoué comparaient leurs tournemains, Brautigan, écrivain américain mythique, confiné à l’extrémité gauche du cadre, éclusait whisky par-dessus whisky.
Dernière scène vue: avant de passer à une pause publicitaire, Monsieur Rebelle requiert la collaboration de Brautigan afin d’élire ze meilleure mayo. Le dernier des beatniks obtempère et trempe son pif aquilin dans chacun des bols, avant que son visage ne se fende d’un sourire équivoque, identique à celui qu’il affiche sur la couverture de son roman L’avortement.
Composé de 113 fragments, Mayonnaise, deuxième tome de la trilogie "1984" d’Éric Plamondon (Hongrie-Hollywood Express avait l’an dernier libéré Johnny Weissmuller des limbes du showbiz), est d’abord l’histoire de Gabriel Rivages et de son obsession pour Brautigan, miroir de ses propres carences et de ses propres angoisses. Mayonnaise est aussi une jubilatoire manière d’envisager la narration comme un incessant zapping entre différents sujets (la pêche, le divorce des parents de Rivages, l’invention de la machine à écrire, les menus détails de la vie de Brautigan, son suicide), différentes époques et différents genres (un bout de poème peut suivre une revue de presse). Avec la désinvolture des chefs maniaquement minutieux, Plamondon découpe et ordonne des fragments dont la complémentarité n’est pas toujours d’emblée évidente. Et pourtant… Josée di Stasio parlerait sans doute d’une "cuisine de produits".
Zapping entre différents sujets, donc, mais toujours ce ton quasi encyclopédique, qui répudie tout lyrisme. Si bien que lorsque Plamondon s’abandonne à un élan vaguement émotif, l’effet saisit: "Sur Internet, j’ai trouvé un exemplaire de La pêche à la truite en Amérique dédicacé de la main de Brautigan qui date de 1971. Il est à vendre pour sept cent cinquante dollars. C’est bien mieux qu’une télé couleur." »www.voir.ca/livres
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mercredi 4 avril 2012

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Éric Plamondon Photo: Le Quartanier Rodolphe Escher
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L'année dernière, à pareille date, on aurait pu me décerner le titre de Miss Hongrie-Hollywood Express tellement je me suis emballée, avec raison, pour ce livre. Cette année le titre de miss Mayonnaise me siéra très bien.
Dans ce 2e tome de la trilogie 1984, on retrouve le style littéraire qui m'a tant plu dans ce que j'appelle affectueusement HHE. Des chapitres courts, des anecdotes, des regroupements surprenants comme la marque Remington qui a commencé par la fabrication de carabines et qui s'est spécialisé dans les machines à écrire, avec les lettres qui font tchac! comme une balle.
Mayonnaise rend hommage à Richard Brautigan tant par sa forme, en rappelant le style de cet auteur atypique, que par le texte, en relatant les moments importants dans la vie du dernier des beatniks. Pour m'aider à patienter avant la parution de Mayonnaise, j'ai relu un livre de Brautigan. Cet auteur est tellement important que j'espère que ce roman d'Éric Plamondon donnera envie à plusieurs personnes de le découvrir.
Le plus beau dans tout ça c'est que malgré l'influence évidente de Brautigan, Éric Plamondon a trouvé un style qui lui est propre. D'ailleurs, c'est pour ça, que j'ai déjà hâte de lire le prochain et dernier tome de la trilogie 1984, Pomme S qui portera sur Steve Jobs et la fameuse publicité pour le lancement du Macintosh.
«J'ai tiré sur un nuage. C'était le plus beau jour de ma vie. Mon père m'avait offert une carabine à plomb et je savais qu'on ne peut pas tuer un nuage.»
- Éric Plamondon, Mayonnaise, Le Quartanier, p.53
www.librairievaugeois.blogspot.ca
« Jubilatoire, malgré tout
Publié le 03 avril 2012
L’Oreille tendue a eu l’occasion — c’était le 6 janvier 2010 — de rendre compte du pamphlet de Jean-Loup Chiflet, 99 mots et expressions à foutre à la poubelle (2009). Parmi ces mots et expressions, il y avait jubilatoire :
Voilà, le nouveau ton de l’enthousiasme est donné. Plus question de se contenter de se réjouir avec réserve et discrétion. Non ! On se doit de commenter notre plaisir avec des cris plutôt qu’avec des chuchotements, des applaudissements et des vivats, qui peuvent même aller jusqu’à l’hystérie collective suivie de pâmoison (p. 79).
Sans suivre Chiflet dans tous ses emportements, l’Oreille n’hésite pas à reconnaître que jubilatoire est beaucoup utilisé, voire trop.
C’est pourtant le mot qui lui vient à la bouche à la lecture des deux premiers titres de la trilogie romanesque 1984 d’Éric Plamondon, Hongrie-Hollywood Express (vol. I, 2011) et Mayonnaise (vol. II, 2012).
Pourquoi 1984 ? Parce que le nageur et acteur Johnny Weismuller, le «héros» du premier roman, meurt cette année-là, qui est aussi celle du suicide de l’écrivain Richard Brautigan, le héros du deuxième. 1984, c’est aussi l’invention du Macintosh : Pomme S (à paraître) mettra en scène Steve Jobs.
Pourquoi jubilatoire ? L’Oreille aime l’utilisation par Éric Plamondon des listes et des énumérations. Elle aime son érudition, cinématographique notamment, mais pas seulement : technique, scientifique, historique, japonaise.
Elle aime son refus de la linéarité. Elle aime l’Amérique qu’elle est invitée à parcourir (dans le temps, dans l’espace). Elle aime le choc entre eux des courts chapitres, prose ou vers, qui font les livres, et l’extravagance de leurs titres. Elle aime l’évident plaisir qu’a l’auteur à citer (des étiquettes aux textes littéraires), et sa croyance dans l’univers des correspondances. Elle aime qu’il ne tombe pas dans les travers linguistiques de l’époque (à quelques «au niveau de» près).
Elle aime entendre la rumeur concrète du monde, mais sans souci exagéré de réalisme. Elle aime que la matière des mots soit matière à jeu («Détroit / Des trois, je préfère le dernier : / dessins, / des saints, / des seins», vol. I, p. 133). Elle aime que s’exprime, dans 1984, une humanité sans épanchement ni narcissisme. Elle aime le soin apporté aux tables des matières, qu’aimait lui aussi Richard Brautigan (vol. II, p. 124-125). Elle aime l’art de l’absurde («Francis Ford Coppola bouge les lèvres sur l’écran. J’en conclus qu’il doit être question de cinéma ou d’autre chose», vol. II, p. 126) et le sens du rythme (répétitions, variations, reprises — anaphores).
Dans Mayonnaise, Michel Braudeau est cité, au sujet de Tokyo-Montana Express, de Brautigan :
Cela tient du haïku et du croquis sur un bout de nappe, du vide-poche et de l’autoportrait de l’artiste en puzzle. Un long bouquet de ces feux d’artifice que Baudelaire appelait des fusées (p. 32).
Aussi bien, voilà qui pourrait décrire les deux romans d’Éric Plamondon.
Jubilatoire, donc, oui, malgré tout.
[Complément du 23 mai 2012] »
www.oreilletendue.com