D'ESTIENNE D'ORVES NICOLAS
LES FIDÉLITÉS SUCCESSIVES, roman, Albin Michel, 2012, 711 pages
Un roman fleuve d'une qualité remarquable de sujet, de style, d'une écriture coulante, précise, enveloppante telle une confession, un secret partagé.
Français et Anglais, collaborateur et résistant, héros et lâche. Guillaume Berkeley oscille depuis son enfance entre s'imposer, plaire aux autres, survivre sans lourdeur mais surtout
il est un être favorisé, veinard.
Il fera la connaissance de personnages généreux et connus qui favoriseront son ascension sociale . Né sur une île anglo-saxonne d'une famille aristocratique aisée, entouré d'une mère dominatrice, de Victor son frère adulé et contrôlant, il choisira de suivre un ami fidèle à Paris en 1939 où il vivra et survivra aux ébauches de la deuxième guerre mondiale.
À Paris il va côtoyer des célébrités artistiques telles des auteurs, des artistes, des éditeurs, des célébrités des années 1940: Jean Cocteau, Jean Marais, Picasso, Guy des Cars, Paul Morand, Sacha Guitry, Charles Trenet, Édith Piaf, Maurice Chevalier, Danielle Darrieux; une véritable faune mondaine et collaborateurs car bien cotés par les Allemands.
Ceux-ci jouent leur rôle, leur avenir, leur survivance face aux Allemands conquérants.
"Car à Paris, la vie de l'esprit n'avait jamais été si florissante. Durant l'été et automne 1941, je n'ai cessé d'aller de concert en exposition, de vernissage en première, de reportage en interview ; et malgré une tension de plus en plus grande, malgré l'instauration d'un couvre-feu à neuf heures dès le mois de septembre, malgré le début des attentats terroristes et des arrestations arbitraires qui en déoulaient." p. 418
"Le paradoxe était que Victor, en venant me rejoindre à Paris, avait précisément voulu me pousser vers l'engagement. Mais je n'avais pas l'âme d'un combatant, ni même d'un militant. J'avais parfois été séduit par les sirènes de la clandestinité, mais ma nouvelle double vie suffisait à combler mes "rêves romantiques".
Son instinct de survie restait le plus fort face à l'antisémitisme omni présent; une époque ignoble.
"Après quatre ans de claustration, on avait rouvert la chasse et les chiens étaient à la curée. Inutile d'espérerle moindre dialogue, la plus petite once de compréhensionn, de compassion. Nous étions passés du côté des vaincus: malheurs à nous." p. 628
"...on n'échappe pas à son enfance, on reste à jamais victime de sa jeunnesse." p. 690
Telle était les destins de Guillaume Berekley, de son ami Simon Bloch, de son acolyte Marco Dupin, personnage coloré et authentique.
Un grand roman à découvrir pour son style, son histoire d'êtres qui ont choisi de vivre sans entraves les joies du corps et de l'esprit.
Gilles Lagrois, Auclair, Québec
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Pour en savoir davantage:
"Résumé :
"Champion du double jeu, j'en suis à ne plus savoir qui j'étais, ni quelle vie était véritablement la mienne" : un aveu qui résume le sujet d'un livre ayant pour toile de fond le Paris de la Collaboration. Anglais et Français, résistant et collaborateur, traître et héros, vivant et mort, Guillaume Berkeley, animé par des "fidélités successives", a revendiqué, à un moment ou à un autre de sa vie, chacune de ces identités.
Aucun personnage n'est réellement ce qu'il prétend être. L'intrigue tourne autour de trois personnages - Guillaume, son frère Victor, et Pauline, leur demie sœur dont ils sont tous deux amoureux - mais permet aussi de croiser une foule d'acteurs, protagonistes plus ou moins fréquentables de cette France dans la guerre. Etudes de mœurs, roman historique, polar politique, Les fidélités successives est servi par une écriture limpide et fluide.
Intelligent, très documenté sans que cela pèse, jamais manichéen, à coup sûr un des événements de cette rentrée littéraire."
"Les personnages sont finement décrits, leur psychologie très fouillée. Cependant , si l'on s'en tient au cas de Guillaume Berkeley, il semble ne jamais , tout au long du roman , adopter une attitude active, et au contraire subir le cours des événements , sans justifier ses décisions par des choix vraiment personnels, porté qu'il est par l'époque , par son arrière –plan familial . Les convictions n'y jouent qu'un rôle presque subsidiaire, adventice. C'est le reproche principal que l'on peut faire à ce roman : ne jamais éclairer, ou pas suffisamment, le rôle des convictions, des valeurs, au nom desquelles pourtant beaucoup d'individus ayant traversé cette sombre époque, ont justifié leurs choix en basculant d'un côté ou de l'autre, ou en les fréquentant successivement …
Roman solide, bien construit, dont la lecture est à recommander pour obtenir un éclairage original sur cette question : comment bascule-t-on ? Au nom de quoi et pour qui ?/
P .S : Je remercie Masse Critique et les Editions Albin Michel pour le don de ce livre, que j'ai pris grand plaisir à lire et à chroniquer./" par TRIEB, www.babelio.com